la théorie politique francophone aurait beaucoup à apprendre des Subaltern Studies, du moins lorsqu’elles sont comprises comme un vaste courant de pensée se développant sur plusieurs décennies plutôt que comme le Subaltern Studies Group (SSG) qui exista formellement dans les années 1980 et 1990. Jusque dans leurs contradictions et leurs évolutions, les Subaltern Studies ont été l’une des lignes de recherches les plus productives et les plus influentes des dernières décennies, en Inde et à l’échelle internationale. Dans cet article, je voudrais dans un premier temps présenter ce courant de pensée. Au sens strict, le Subaltern Studies Group (SSG) fut un collectif intéressé par les sociétés coloniales et postcoloniales. Il naquit dans les années 1980 autour de l’historien Ranajit Guha pour tenter de reformuler l’histoire de l’Inde et de l’Asie du Sud. Les premières Subaltern Studies travaillèrent l’histoire et la théorie sociales en insistant sur la culture des groupes subalternes et leurs formes autonome d’action. Dans un second temps, le SSG effectua un tournant postcolonial. Il insista sur l’opposition entre la pensée coloniale et les pensées subalternes et se concentra sur l’histoire culturelle et la discussion épistémologique. Après la dissolution du SSC, les chercheurs qui en avaient fait partie formèrent une mouvance hétérogène qui tira le bilan des acquis et impasses des travaux antérieurs. Entretemps, les problématiques travaillées avaient trouvé un fort écho dans d’autres régions du monde. Dans une seconde partie, je reviendrai sur un débat, méconnu dans l’Hexagone, qui eut lieu entre le marxiste anglais Perry Anderson et des chercheurs indiens ayant appartenu au collectif des Subaltern Studies. En 2013, le premier publie The Indian Ideology , un pamphlet contre des intellectuels indiens qu’Anderson considère comme liés à l'idéologie nationaliste indienne de Nehru et du Congrès. Dans ce livre, Anderson ignore presque complètement les critiques indiennes de l’historiographie et de l’idéologie nationalistes, et en particulier la plus importante d’entre elles, portée par le SSG. En réaction, trois anciens chercheurs de celui-ci publient une réponse à Anderson . D’autres universitaires appartenant plus ou moins à cette mouvance, tels que Ravi Sinha, se joignent au débat. Je mettrai en valeur une notion spécifique qui a surgi au cours de la controverse, celle de « politique des profondeurs », proposée par Ravi Sinha . Enfin, je me proposerai de réinterpréter cette notion et j’esquisserai la façon dont cette discussion peut nous aider à inverser le regard sur la politique et la démocratie en prenant le point de vue de cette école de pensée venue des Suds et en interrogeant sur la mobilisation des imaginaires en politique au 21e siècle.